SRINAGAR…
Le nom de Cachemire résonnait en moi comme un terme enchanteur, évocateur de soieries brodées d’oiseaux, de jardins moghols, de lacs parsemés de house-boats, de palais merveilleux… etc. La réalité fut tout autre.
D’abord, on me déconseille de me rendre dans cette région; des tensions politiques très tendues rendent agressifs certains groupes de militants perpétrant des attentats. Des bus sont attaqués. Le Pakistan n’est pas loin, la Chine non plus, chacun de ces pays s’étant déjà approprié une petite portion du Cachemire qui réclame lui-même son indépendance vis-à-vis de l’Inde. La situation est sulfureuse. 
Après quelques hésitations, je décide de partir tout de même et de prendre le bus de jour afin de pouvoir admirer les paysages magnifiques entre Leh et Srinagar : deux jours de bus avec arrêt à Kargil pour la nuit (début de la vallée du Zanskar… avec un peu de chance, je pourrai y aller aussi…).

Quelques heures avant mon départ, on me fait savoir que mon billet de bus de jour a été changé automatiquement en billet de bus de nuit afin d’éviter toutes attaques éventuelles, les « assaillants » n’accomplissant leurs méfaits que de jour…
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Me voilà, donc, installée pour un trajet direct de 18 heures entre Leh et Srinagar. Adieu mes beaux paysages et la vallée du Zanskar tant espérés !… Dans ce bus, uniquement des hommes cachemiris, genre commerçants. Je suis toute contente : le seul siège vide du véhicule est à côté de moi… pas pour longtemps, hélas. La route est sinueuse, je devine les hautes montagnes. Vers minuit, arrêt pour un petit thé et, là, un passager atteint d’obésité prend la place vide à côté de mon siège. Le reste de la nuit fut un peu l’enfer pour moi, cette masse de chair endormie retombant à chaque tournant sur moi qui la repoussais comme je pouvais… et impossible de changer de place !
Bref, nous voici arrivés à Srinagar, des barrages militaires nous faisant passer par de multiples déviations.
À l’arrêt du bus, je suis déjà assaillie par les multiples logeurs de house-boats (hôtels flottants) qui sont désespérément vides, en cette période troublée. De nombreuses maisons flottantes, habitées en leur temps par les Anglais, sont ancrées un peu partout sur le lac et disponibles à la location. Mais aucun touriste à l’horizon. Je pars, alors, à la recherche d’un petit hôtel dont on m’a donné une adresse imprécise et que je n’ai jamais trouvée. Lasse de chercher sous une chaleur imprévue en portant mon bagage, je me laisse tenter par un propriétaire de house-boat plus persévérant que les autres. Et me voilà, comme une princesse, logée dans un bateau pour moi toute seule.

La famille qui m’accueille est sympathique et, tout de suite, je suis l’hôte de marque (pas difficile, je suis la seule
). Le propriétaire me propose de me conduire où je désire avec sa shikara (sorte de petite barque à fond plat) et de s’occuper de mes visites.
Cette famille, qui habite sur le bateau d’à côté, est pauvre. Pas de meubles, dans leur bateau, un simple réchaud, un simple matelas que l’on roule pendant la journée, mais tout est propre. Pour eux, c’est une aubaine d’avoir une cliente. J’accepte la proposition du propriétaire d’être mon guide; cela me facilitera la tâche dans cette ville où l’on ne sent pas très à l’aise.
Logée et nourrie, je mange comme eux : matin, midi, soir le DAL, composition de riz, sauce aux lentilles et quelques légumes, le tout accompagne de thé ou eau chaude… bon mais pas varié !

Lac Dal, à Srinagar
Srinagar est bâtie autour d’un lac, lui-même entouré de belles montagnes. Je commence par visiter les magnifiques jardins moghols, dessinés d’après des motifs de tapis persans, le tout agrémenté de jets d’eau rafraîchissants. Ils sont au nombre de trois (Shirazi Bagh, Nishat Bagh et le Shalimar Bagh), situés à l’extrémité est du lac.

Il est agréable de regarder déambuler ces femmes indiennes vêtues de leur sari (une longue étoffe de 5,5 m) aux couleurs magnifiques. Elles remplacent les fleurs et la couleur qui manquent un peu ici.

Shalimar bagh à Srinagar
La Vieille Ville, parcourue d’un dédale de ruelles et de mosquées, s’anime en contrebas du fort Hari Parbhat. La grande Mosquée datant du XIVe siècle qui surplombe la ville (Jama Masjid) est superbe, avec ses 370 impressionnants piliers de cèdre, taillés d’une seule pièce et sa belle et grande cour.
Je m’attarde aussi au Musée Pratah Sing, situé dans l’ancien palais d’été du maharaja. Ses murs et ses plafonds aux décors de papier mâché servant d’écrin à des vestiges archéologiques, ossements de mammouth, peintures, œuvres d’art en papier mâché. Musée intéressant, mais un peu et, même, très poussiéreux. 
J’aime bien regarder les gens vaquer à leurs occupations et observer la vie. Par exemple, en me promenant dans la vieille ville de Srinagar, j'’ai retrouvé l’esprit de l’Asie Centrale. Je repense alors à Samarkand, Kashgar, les petites maisons de briques et de bois avec balustrades sculptées. Les marchands de cuivre, tissus, épices…

Une rue de la vieille ville de Srinagar
J’en ai profité pour acheter…. un poulet vivant ! qui a été égorgé et plumé sous mes yeux, des légumes, des morceaux de mouton. Un cadeau royal pour mes hôtes qui ne peuvent pas s’offrir ce festin, et pour moi, enfin, des protéines.

Marché flottant à Srinagar
Je demande à mon logeur de m’emmener voir un marché flottant qui se tient à 5h du matin, à une heure de shikara de mon house-boat. Là, au lever du soleil, les barques s’enchevêtrent, les hautes rames droites surmontant les hommes me font penser au fameux tableau d’Uccello « la Bataille de San Romano ». Les hommes à la barbe bien taillée, en tenue cachemirie, échangent leurs légumes. C’est un ballet qu’on ne se lasse pas de regarder.

Srinagar — Personnage au bord du lac

Maison sur le lac Dal à Srinagar

Soldats indiens à Srinagar
Srinagar mérite sans doute une plus longue visite, notamment dans ses environs, mais mon temps est limité.
Je vais, donc, quitter cette ville et ses militaires, placés à tous les 10 mètres, armés jusqu’aux dents. Il m’est interdit de prendre le bus pour Delhi, des attaques ayant eu lieu la veille. Un petit billet d’avion et crac ! je me retrouve à Delhi.

Le soir tombant sur le lac Dal à Srinagar
… et, bientôt, la fin du voyage !… Brigitte