Danube (14) — Novi Sad (Serbie) 1
Nous sommes le mercredi 25 mai et avons changé d’heure cette nuit, en regagnant une heure, pour repasser à l’heure de l’Europe Centrale, qui est la nôtre à Paris. Nous remontons le Danube, qui constituait, jusqu’alors, la frontière entre la Roumanie et la Serbie et naviguons, à présent, complètement en Serbie. Nous prévoyons de visiter, cet après-midi, la ville serbe de Novi Sad, où notre bateau fera escale à partir de 15 heures jusqu’à 22 h 30.
La côte serbe, que nous admirons, depuis le pont…
Nous passons devant l’impressionnante forteresse de Smederevo :
… que vous pouvez voir en plus grande taille dans une autre page en cliquant ici.
À l’époque romaine, Smederevo portait le nom de Semendria. C’est, du reste, encore sous cette appellation que la Roumanie et l’Allemagne la connaissent.
Lors de la conquête ottomane des Balkans au début du XVe siècle, les souverains chrétiens de la région subirent de nombreuses défaites, mais Stefan Lazarević réussit à maintenir un État serbe, sous la forme du Despotat de Serbie. Vers 1403, il accepta la suzeraineté hongroise du roi Sigismond Ier et établit sa nouvelle capitale à Belgrade, qui lui fut cédée en récompense de ses services. Mais, à la mort de Stefan en 1426, son neveu et successeur, Đurađ Branković, devant restituer Belgrade aux Hongrois, décida de compenser cette perte en établissant sa nouvelle capitale à Smederevo. D’autant que la situation de Smederevo, entre Belgrade et Golubac, lui permettait à la fois d’avoir un accès facile aux autres villes le long du fleuve, mais aussi de contrôler tout trafic sur le Danube, qu’il soit hongrois ou turc.
La construction de la forteresse de Smederevo, se poursuivit de 1428 à 1439. Le 20 avril 1434, on y célébra le mariage de Katarina, la fille la plus jeune de Đurađ Branković avec Ulrich II de Celje, proche parent de la reine de Hongrie. Cette union inquiéta la Sublime Porte, qui proposa au despote le mariage de sa fille aînée Mara, avec le sultan Mourad II ; ce mariage fut accepté. Le 14 avril 1435, un accord de « fraternité et d’amitié » fut signé entre la Serbie et la République de Venise dans la salle de réception de la forteresse de Smederevo. En outre, cet accord offrit à Đurađ et ses fils la citoyenneté vénitienne.
Mais la paix fut de courte durée… En 1489, Mourad II prit, avec 130 000 hommes, les collines dominant la ville, qui résista. Laissant le commandement à son fils Grgur, Branković demanda aux Hongrois une aide qui se fit attendre et Smederovo repoussa l’attaque des Ottomans, même quand ceux-ci usèrent de canons ! Cependant, après trois mois de siège, les Serbes, poussés par la faim, se rendirent. Grgur et Stefan furent envoyés, prisonniers, en Anatolie, où on leur brûla les yeux, malgré les supplications et les pleurs de Mara, leur sœur, devenue sultane. Đurađ Branković ne récupéra ses fils que cinq années plus tard, grâce au traité de Szeged.
Cependant, dès 1453, Mehmed II attaqua de nouveau la ville, qui résista à 6 000 hommes contre 20 000. Mais, en 1456, le jour de Noël, Đurađ Branković mourut à Smederevo et, en 1459, la cité tomba une nouvelle fois aux mains des Ottomans, ce qui mit un terme à l‘État médiéval serbe. La citadelle, qui jouait un rôle stratégique à la frontière entre la Hongrie et l’Empire ottoman, fut plusieurs fois agrandie et renforcée par les Turcs ; et il fallut attendre 1805 et la première révolte serbe contre les Turcs pour voir la ville libérée, qui devint, un temps, la capitale de la Serbie. C’est en 867 que les Turcs remirent officiellement les “clés” de la cité. Occupée par les forces allemandes pendant la Seconde guerre mondiale, la forteresse a subi une explosion et des bombardements qui ont engendré d’importants dégâts.
Nous passons, à présent, devant Belgrade, que nous avons visitée en descendant le Danube et dont vous retrouverez l’article ici (cliquez).
Après le déjeuner, nous regardons, sur le pont, défiler le paysage, avant d’arriver à Novi Sad.
Et voilà qu’apparaît, sous nos yeux, le célèbre pont de Žeželj de Novi Sad, tout neuf, puisque, détruit en 1999 par les bombardements de l’OTAN (lors de la guerre du Kosovo), il a été reconstruit et n’a été rouvert qu’en 2018 !…
Notre arrivée ne saurait, donc, tarder !
Le pont originel de Žeželj (377 mètres de long) était un pont en arc construit entre 1957 et 1961, qui reliait la zone de la ville de Novi Sad et Petrovaradin. Il y avait une ligne de chemin de fer internationale et une route de transit à travers Novi Sad. Ce pont a subi 12 bombardements. Le 23 avril 1999, il a définitivement été détruit, ce qui interrompait le trafic ferroviaire entre Belgrade et Subotica, c’est-à-dire entre la Serbie et la Hongrie. Sous le bombardement de l’OTAN, les trois grands ponts du Danube à Novi Sad (pont Žeželj, pont de Varadin et pont de la Liberté) ont été totalement détruits…
Sur la rive droite, la forteresse de Petrovaradin, juchée sur son promontoire, semble veiller sereinement sur la ville. Ses nombreux saillants à étages et sa situation stratégique sur le Danube ont valu à Petrovaradin le surnom de Gibraltar du Danube car elle fut construite selon le système Vauban de 1692 à 1780 : Eugène de Savoie délogea les Turcs de ce site, mais c’est après la victoire définitive de 1716 que les Habsbourg entreprirent des travaux de fortification de grande ampleur. Sur 112 hectares, plus de 16 km de galeries souterraines, réparties sur quatre étages, furent creusées pour recevoir 400 canons et 12 000 meurtrières. Cette place forte avait une telle réputation d’inexpugnabilité que la famille impériale autrichienne y fit transporter le trésor de la couronne lors de l’avancée de Napoléon sur Vienne. A l’est de la forteresse, un peu en contrebas, se trouvent plus de 88 ateliers d’artistes creusés dans le roc.
La tour de l’horloge blanche est l’un des symboles importants de la forteresse de Novi Sad, avec ses cadrans noirs sur les quatre côtés. Les chiffres sont très grands pour être vus de loin, et une particularité de cette horloge est que la grande aiguille indique les heures tandis que la petite indique les minutes. Et cela afin qu’à lépoque les marins sur le Danube pussent voir l’heure à grande distance. En outre, pour les quarts de travail des gardes de la forteresse, les heures comptaient bien plus que les minutes…
Certains nomment cette horloge l’horloge ivre. Car, le mécanisme supportant mal les changements de température, elle retarde en hiver avec le froid et avance en été avec la chaleur. C’est un mécanisme très ancien, qui est remonté quotidiennement.
De récentes études archéologiques ont apporté un nouvel éclairage sur l’histoire de cette région. Dans la partie haute de la forteresse on a découvert les restes d’un village du paléolithique supérieur datant de 19 000 à 15 000 avant Jésus-Christ. Il est, à présent, établi que le site a accueilli sans discontinuer une présence humaine depuis le paléolithique jusqu’aujourd’hui. Durant les fouilles effectuées en 2005, les archéologues, en examinant des vestiges de l’âge du bronze (aux alentours de 3000 av. J.-C.), ont découvert des restes de remparts, preuve qu’à cette époque le site était déjà fortifié. Les premières grandes fortifications furent construites par les Romains à leur arrivée dans la région ; la forteresse (alors baptisée forteresse de Cusum) se trouvait sur un limes longeant le Danube.
Nous débarquons, très près du centre de la cité.
L’histoire de Novi Sad est intimement liée au Danube. Sur la rive gauche s’est développé un pôle commercial et fluvial de première importance. Dès le XVIIIe siècle, la ville est une étape importante sur le Danube, entre l’Europe centrale et les Balkans : on y décharge les produits miniers pour y transporter les céréales de la région. Novi Sad devient ainsi la capitale économique de l’immense plaine céréalière de Voïvodine. Vient s’y ajouter au XXe siècle une importante activité industrielle. Et c’est ainsi que Novi Sad est aujourd’hui la seconde ville du pays, avec 300 000 habitants. Cité multiethnique (Serbes, Hongrois, Monténégrins, Slovaques, Ruthènes, Croates, Tziganes), elle est la capitale de la province autonome de Voïvodine. L’influence austro-hongroise, bien présente, donne à la ville un charme tout particulier.
Novi Sad est, en effet, le berceau de la culture serbe, qui s’y est développée sous la protection austro-hongroise et grâce à des personnalités de caractère. La « Matrice serbe », réunissant tous les plus grands hommes de lettres et penseurs de langue serbe, est créée en 1826, suivie du premier lycée et de la première bibliothèque serbe. Au XIXe siècle, la ville accueille toute l’intelligentsia serbe, qui y trouve refuge après avoir fui le joug ottoman et souvent après avoir fait des études dans les grandes universités de Vienne, Budapest ou Cracovie.
L’après-midi est avancé, quand nous débarquons, et je me dépêche d’aller visiter le musée de Voïvodine, qui présente des collections d’archéologie, d’histoire et d’ethnologie. Heureusement, je m’aperçois qu’il ne ferme qu’à 19 heures ! Ouf !…
L’Antiquité y est notamment représentée par deux casques de cérémonie recouverts d’argent doré décorés d’incrustations et d’ornements martelés du IVe siècle découverts à Berkasovo :
Pour la Préhistoire, le Néolithique (6000-3200 av. J.-C.), qui correspond à l’installation des premières cultures agricoles en Voïvodine, est la période la mieux représentée.
Deux dames, la première de l’âge du cuivre (3200-2000 av. J.-C.), qui précéda l’âge du bronze, dont relève la seconde jeune femme :
Un monsieur un peu plus tard :
Des paysans serbes :
De beaux vêtements de personnes plus riches :
L’impératrice Marie-Thérèse, reine de Hongrie, de Bohême, de Croatie, de Slavonie et autres lieux… :
J’ai l’intention, également, de visiter la Galerie Matice Srpska, qui contient nombre d’œuvres d’art des XIXe et XXe siècles. Mais elle ne ferme qu’à 22 heures. Nous avons, donc, le temps de marcher en ville avant de voir cette galerie et de rentrer pour le dîner que l’on nous a fixé à 19 h 30, aujourd’hui. Je ressortirai ensuite, puisque le bateau n’est censé repartir qu’après 22 h 30…
Le centre ville, historique, a l’avantage d’avoir de petites dimensions. On y flâne aisément. Le musée Voïvodine, que je viens de quitter, est tout près du fameux Parc du Danube, “le plus beau, le plus ancien, le plus célèbre", paraît-il.
(Vous pouvez voir cette image en grande taille dans une autre fenêtre en cliquant ici.)
Des rues très animées avec de nombreux cafés, fort bien achalandés.
Nous passons devant l’évêché :
Ce magnifique palais résulte de la combinaison de plusieurs influences stylistiques différentes. Les éléments décoratifs de la cour sont d’origine byzantine et orientale, mais l’on y rencontre, encore, des éléments qui rappellent la façade des monastères médiévaux serbes. Ce monument est, à présent, protégé en tant que monument culturel et il est devenu la résidence de l’évêque de Backa, Irinej Bulovic, qui est professeur à la faculté de théologie de Belgrade.
Nous approchons, maintenant, de l’hôtel de ville et de la Place de la Liberté qui s’étend devant lui.
Construit en 1895, dans un style “néo-renaissance", il serait une copie de l’hôtel de ville de Graz. Il y eu de gros désaccords sur l’emplacement de ce bâtiment avant le début de la construction. Le maire Svetozar Miletic, dont la statue a été érigée sur la place, voulait que le Théâtre national serbe fût construit à l’endroit où se trouve actuellement l’hôtel de ville, et que ll’on implantât ce dernier sur le terrain de Hanski. Mais les catholiques exigèrent que la mairie commence à construire juste en face de l’église catholique, sur la place principale de la ville.
La place, construite au XVIIIe siècle, a souvent changé de nom, au cours de l’histoire. Au cours du règne des Habsbourg, elle se nommait “Place François-Joseph“. Après la Première Guerre Mondiale, c’était la “Place de la Libération“, et elle ne reçut son nom actuel ” Trg slobode ” qu’après la Seconde Guerre Mondiale.
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On distingue, à droite, le bâtiment de la banque Vojvođanska. Autrefois, en 1754, il hébergeait un restaurant. Puis il est devenu un hôtel. Les propriétaires ont souvent changé l’apparence du bâtiment jusqu’au XIXe siècle où la ville l’a démoli. En 1892, Emmerich Mayer construisit un hôtel de luxe sur ses fondations, de style néo-baroque, le “Grand Hotel Mayer“. Peu de temps après, Lazar Dunđerski, le Serbe le plus riche de l’époque, l’acquit, le destinant à devenir un centre pour les événements cérémoniels et politiques. Dans l’une des salles de congrès se tint la Grande Assemblée nationale des Serbes, des Bunjevci et d’autres peuples slaves, qui déclarèrent ici la fusion du Royaume des Serbes, en novembre 1918.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’hôtel fut rebaptisé “Sloboda” et a fonctionné jusqu’en 1953, avant de devenir le bâtiment de l’Armée nationale yougoslave (JNA). Enfin, il devint le bâtiment administratif de la Vojvodjanska Bank. Les nombreuses transformations intérieures et extérieures le rendent, à présent très différent de l’aspect original.
Cette place est le cadre de tous les événements importants de la ville, et la statue, en bronze de 5 m de haut, du maire Svetozar Miletic (1826-1901) se dresse fièrement. C’est l’une des sculptures les plus célèbres du sculpteur et architecte yougoslave Ivan Mestrovic , laquelle fut érigée, sur un socle carré de granite gris, pour la première fois en 1939 devant l’hôtel de ville. Svetozar Miletic était l’un des personnages politiques les plus influents, à l’époque de la monarchie des Habsbourg, à la fin du XIXe siècle. Il fut délégué, avocat, rédacteur en chef et maire de Novi Sad à deux reprises.
Nous nous dirigeons vers l’église catholique, dont je parlerai dans l’article suivant.
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