15/7/2018

Conclusion : une île fascinante

Classé dans: — Brigitte @ 15:23:21

île de Pâques

                         Il ne fait guère de doute que ce sont les Polynésiens qui, grâce à leur parfaite science maritime, leur organisation sociale et leur technologie les rendant capables de construire de grands et solides navires, peuplèrent l’île de Pâques. C’était, du reste, l’opinion des explorateurs du XVIIIe siècle. Comme James Cook, constatant que Iti Iti, un jeune homme de Bora Bora (une des îles de la Société, en Polynésie française) qui l’accompagnait, était en mesure de tenir une conversation avec les indigènes, l’idiome rapa nui étant proche parent du marquisien, langue polynésienne, de la famille des langues austronésiennes.

Cependant, l’observation des réalisations colossales accomplies sur un espace minuscule par quelques hommes dénués de tout (au XVIIIe siècle, les voyageurs décrivent une île complètement dénudée) a stimulé les imaginations, et on leur a prêté, au cours du temps et des ouvrages, de l’Égypte à l’Amérique, en passant par l’Atlantide et les extraterrestres, les origines les plus diverses et les plus délirantes. À peu près toutes les parties émergées, voire mythiques, du globe ont été passées en revue, dans les pages de l’abondante et foisonnante littérature qui a été consacrée à l’île…

île de Pâques

Et, déjà, en 1899, comme le fait remarquer Michel Orliac, Pierre Loti contribuait, par le talent de ses évocations poétiques, à la création du mythe, en décrivant, dans le journal qu’il tenait à bord de La Flore, à propos des coulées de lave refroidie, polies par l’érosion, qui s’enfoncent dans la mer,

« des routes dallées, comme étaient les voies romaines, [qui] descendent se perdre dans l’Océan », puis : « Par ailleurs, l’île semble bien petite en proportion de cette zone considérable, occupée par les monuments et les idoles. Était-ce donc une île sacrée, où l’on venait de loin pour des cérémonies religieuses, à l’époque très ancienne de la splendeur des Polynésiens, quand les rois des archipels avaient encore des pirogues de guerre capables d’affronter les tempêtes du bien ce pays est-il un lambeau de quelque continent submergé jadis comme celui des Atlantes ? ».

La vérité est que ce petit peuple a accompli de grandes choses, en tentant vaillamment de résister aux vicissitudes de son environnement, sur cette terre minuscule, dont l’article de Michel Orliac, dont je reprendrai quelques passages, brosse, ici, très justement, l’histoire.

« Ainsi, depuis un centre de production unique, les œuvres exprimant la fierté des lignages circulent, sans doute de façon très solennelle, à travers de nombreux territoires. Ces déplacements nécessitent des rencontres destinées à obtenir l’autorisation et l’aide de chacune des autorités territoriales. C’est l’occasion d’honorer, par des fêtes, les dieux et les ancêtres respectifs.»

« Deux cent trente moai ont rejoint leurs ahu — qui peuvent en porter jusqu’à quinze, tel celui de Tongariki. Quatre cents statues sont restées dans la carrière ; certaines sont en cours d’élaboration ; d’autres, achevées, sont plantées dans les flancs du cratère, enfouies parfois jusqu’au menton dans les déchets d’extraction. Ainsi, pendant sept ou huit siècles, les Pascuans ont déployé une énergie folle dans la sculpture et le déplacement des géants de pierre. Mais ceci n’est rien auprès de la construction des ahu qui les exposaient. Les plus grands, longs de cent cinquante mètres, ont mobilisé des milliers de mètres cubes de terre et de roches, parfois énormes.

« Ces réalisations impliquent le recours à une grande quantité de matières premières d’origine végétale : fibres des câbles de traction, madriers des leviers, fûts des trains de roulement. La flore de l’île de Pâques pouvait alors largement satisfaire ces besoins extraordinaires, qui s’ajoutaient à ceux, plus courants, de la construction des bateaux et des édifices terrestres. En effet, les analyses polliniques montrent un paysage où des bosquets de l’arbuste toromiro sont abrités par le plus grand des palmiers, Paschalococos disperta.

Depuis 1995, nos travaux sur les végétaux utilisés comme combustibles ont révélé une flore ligneuse beaucoup plus variée que celle conservée par les pollens ; en effet, ils ajoutent quatorze arbres et arbustes aux huit connus dans la flore actuelle et par les pollens. Par ailleurs, ils montrent que la brusque disparition des arbres se situe au XVIe siècle ou plus probablement au XVIIe, et non au début du XVe siècle, comme l’annoncent les analyses polliniques. »

La thèse de l’écocide, soutenue, par exemple, par l’anthropologue américain Jared Diamond, est controversée. Cela dit, les Pascuans faisaient, tout de même, une utilisation outrancière du bois : pour la crémation des morts, pour cuisiner, pour le transport des statues géantes, pour leurs bateaux… En outre, les clans vainqueurs n’hésitaient pas à détruire les arbres des vaincus en les incendiant, comme c’était le cas dans toute la Polynésie lors des guerres tribales : on tuait les hommes, on emportait les femmes, voire les enfants, et on anéantissait systématiquement les ressources alimentaires des perdants (bananiers, arbres à pain, etc.). Sans compter l’action dévastatrice du rat polynésien, importé par l’homme, responsable probable de la disparition du palmier endémique.

Or, donc, quelle que soit la cause réelle de la déforestation, surexploitation du milieu ou accident climatique (sécheresse provoquée par le phénomène du Niño et aggravant les effets de l’action humaine sur un écosystème fragile), celle-ci a eu pour terrible conséquence une raréfaction des pluies. L’île comptait, alors, probablement, 8 000 habitants qu’il était devenu difficile de nourrir. Tous les dauphins avaient été massacrés depuis longtemps, comme le montrent les fouilles pratiquées à Anakena, les ressources agricoles, faute d’eau, étaient presque épuisées. Seuls de petits jardins ou des tunnels de lave au toit effondré, comme nous l’avons vu dans la grotte de Ana Te Pahu, conservant l’humidité, à l’abri du vent, du sel et des embruns, ont permis aux Pascuans de subsister. Ces jardins, des espaces restreints entourés de murs, souvent autour d’un enfoncement du relief, les manavai, ne pouvaient subvenir qu’aux besoins d’une population très réduite. D’où les guerres entre clans. D’où, également, l’anthropophagie, parfois évoquée.     

île de Pâques

île de Pâques

Les oiseaux, ne pouvant plus nicher, auraient déserté l’île et la raréfaction du bois signifiait moins de bateaux, puis plus de bateaux du tout !…   :-( L’une des activités essentielles des Pascuans étant la pêche, comme en témoignent les nombreux hameçons découverts sur les sites et les pétroglyphes, la pêche en haute mer devenait impossible, comme la liaison avec d’autres îles. Petit à petit, les Rapa Nui se sont retrouvés sans pirogues dignes de ce nom et, du reste, les premiers Européens n’ont observé que de simples « barcasses », inaptes à une véritable utilisation en mer.

Au demeurant, confection et érection des statues, toujours plus grandes et plus majestueuses, destinées à témoigner de la suprématie du clan, devenaient, sur la fin, prodigieusement coûteuses en énergie, pour cette petite population, car les ouvriers employés à cet effet ne pêchaient ni ne cultivaient et il fallait, cependant, les nourrir. Ce qui explique, également, la différence entre le nombre de moaï sculptés (env. un millier) et les quelque trois cents érigés sur les plates-formes. Les statues n’étaient peut-être pas seulement renversées par les ennemis, mais pouvaient s’écrouler, aussi, du fait d’un défaut de maintenance des ahu, voire par les agissements d’une communauté en perte de foi, lassée de constater que le « mana » qu’elles étaient censés répandre sur le peuple ne parvenait plus à lui permettre de subsister.

Michel Oriac ajoute :

« L’adaptation des Pascuans se traduit évidemment par l’abandon de la sculpture des moaï ; par ailleurs, les nouveaux ahu ne comportent plus de blocs de grande dimension ; les cadavres ne subissent plus la crémation, dévoreuse de bois ; mais les restes des ancêtres trouvent toujours leur place dans le ahu ancestral : des espaces sont aménagés dans les anciennes plates-formes et entre les statues effondrées. »

Et c’est, sans doute, une explication à l’avènement, au XVIIe siècle, après la crise, de la cérémonie du tangata manu (homme-oiseau) sur le haut-lieu d’Orongo. On ne sait à quand remonte le culte de Make-Make, le dieu créateur, qui assure la fertilité, mais ce rite est, sans doute, une tentative sinon de supprimer, mais, du moins, de maîtriser la violence, en désignant et en renouvelant, d’année en année, un arbitre qui pût endiguer l’anarchie destructrice.

De toute cette histoire, effervescente et riche en événements, nous retiendrons que cette petite société a montré une résistance exemplaire aux variations de son environnement, et je terminerai par cette citation d’Alfred Métraux : « Le miracle de l’île de Pâques réside dans cette audace qui a poussé les habitants d’une petite île, dénuée de ressources, à dresser sur l’horizon du Pacifique des monuments dignes d’un grand peuple. »

île de Pâques

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